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La responsabilité des RH face aux risques du télétravail ? avec Maître Judith Buchinger, Avocate

Alors que beaucoup d’entreprises sont au ralenti depuis le Covid-19, les RH sont sur les chapeaux de roues. Avec la crise sanitaire, la gestion des ressources humaines se retrouve au premier plan.
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Un environnement propice aux Risques Psycho-sociaux 

Confinement, déconfinement, couvre-feu, reconfinement… La pandémie de COVID-19 que nous traversons force les entreprises à se réadapter. Les organisations de travail évoluent au fur et à mesure des décisions politiques. Et l’instabilité économique amène des inquiétudes (secteurs en crise, chômage partiel, peur de perdre son travail…). Ce contexte instable génère un épuisement général des collaborateurs. 

Parmi les mesures phares recommandées par le gouvernement : le télétravail. 

En se généralisant, le télétravail fait émerger de nouveaux comportements et de nouvelles attentes des collaborateurs. Certains souhaitent pérenniser le télétravail, d’autres au contraire, le subissent et expriment le besoin de revenir sur site. 

Cette nouvelle façon de travailler fait également émerger de nouvelles formes de Risques Psycho-Sociaux (RPS) et de souffrance au travail :

  • L’émergence de propos vexatoires, parfois involontaires mais pouvant s’apparenter à du harcèlement “Je ne t’ai pas vu connecté hier à telle heure”…
  • La multiplication d’arrêts maladie longue durée par peur de dénoncer les mauvaises pratiques managériales ou de travail
  • L’organisation familiale chamboulée qui déteint au travail. La garde d’enfant repose statistiquement souvent sur les mères. 

Résultats : 

  • La frontière vie professionnelle – vie personnelle s’étiole. 
  • Les responsabilités en entreprise sont diluées.
  • Les RH doivent avoir plusieurs casquettes et agir sur tous les fronts : juridique, social, managérial, économique …
  • Les impacts du télétravail et du contexte sont considérables sur la santé au travail.

Dans ce contexte de généralisation du télétravail, quel rôle ont les RH ? Que leur incombe-t-il ? De quoi doivent-ils être les garants ? En cas de risques en télétravail, qui est responsable ? Jusqu’où l’entreprise doit-elle intervenir ? 

Pour répondre à ces épineuses questions, nous avons eu le plaisir de recevoir Maître Judith Buchinger, avocate.
Intervenante dans les dossiers complexes de droit de la famille, du travail et médical, Judith Buchinger Lipskier privilégie toujours une issue équilibrée, négociée et pérenne permettant d’éviter l’aléa judiciaire. Elle s’est spécialisée en réparation du préjudice corporel entourée d’un réseau pluri-disciplinaire : assistantes sociales, psychologues, médecins …

Définition juridique : en droit, qu’est-ce que le télétravail ? 

« le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication. » Art L 222-9 du Code du Travail

En d’autres termes, le télétravail n’est pas un statut ou un régime juridique dans un contrat de travail. C’est une méthode de travail, une réalité sociale que l’employeur doit encadrer. 

De fait, le télétravailleur est considéré soit comme un travailleur à domicile, soit comme un salarié de droit commun. A ce titre, il dispose des mêmes droits que tous les travailleurs. Et l’employeur doit le traiter comme tel. 

Par ailleurs, le télétravail doit être fait de manière volontaire. Le salarié doit y consentir. Et charge à l’employeur d’en formaliser les conditions : le travail est-il occasionnel ? régulier ? 

Quelles sont les problématiques du télétravail pour l’employeur ?

« Est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise. » L411-1 du Code de la sécurité sociale

A ce titre, l’employeur doit veiller à deux éléments majeurs : 

  • L’espace de travail :

Comment s’assurer en tant qu’employeur que le télétravailleur soit dans de bonnes conditions ? Où travaille le salarié ? Il peut être à son domicile, ou dans une résidence secondaire comme ce fut beaucoup le cas lors du premier confinement de 2020. 

L’employeur doit avoir un regard sur le cadre de travail pour assurer la sécurité et la santé du collaborateur

  •  Le temps :

Le télétravail peut influencer la fréquence de connexion. Alors que l’on pouvait imaginer que le télétravail offrirait davantage de temps aux salariés : moins de transports, plus de liberté d’organisation… On voit apparaître des burnouts. Certains salariés éprouvent des difficultés pour se déconnecter, une forme de syndrome du bon élève. En étant à distance, le collaborateur peut avoir le sentiment de devoir être disponible en continu. Ce sentiment est amplifié par le contexte économique instable « J’ai la chance d’avoir un emploi, je dois tout faire pour le garder.».

L’employeur se doit de rappeler aux salariés leur droit à la déconnexion. Les RH pourront relayer l’information aux managers, en rappelant les règles. Pour qu’ils veillent aux mails tardifs par exemple ou aux collaborateurs dont la connexion semble ininterrompue. 

Quelles sont les obligations de l’employeur en termes de sécurité et santé ?

« Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. » Article 121-3 du Code Pénal 

Ainsi, l’employeur a une double obligation :

  • L’obligation de moyen : 

Il doit prévoir toutes les mesures possibles pour permettre au salarié de télétravailler dans les meilleures conditions. 

  • L’obligation de résultat :

L’employeur a l’obligation de s’assurer de la sécurité et de la santé au travail. Cela peut être réalisé en demandant, par exemple, des retours réguliers des managers.
Dans le cadre du télétravail, toutes les situations doivent être appréhendées, y compris les situations d’ordre personnel ou psychologique. Ainsi, si l’on assiste à la détresse d’un salarié dans le cadre d’une réunion via Teams/Zoom, la sphère privée et professionnelle se confondent. Si le manager a connaissance de ces situations, il doit les faire remonter au RH ou à l’assistante sociale. 

Et la responsabilité des collègues face aux risques ? 

Ces obligations ne s’appliquent pas à un collègue témoin de violences conjugales par exemple. Celui-ci n’a pas de responsabilité au sens juridique. En revanche, il a une responsabilité morale et éthique. il peut remonter l’information de manière anonyme. Dans les faits, même s’il est protégé, il est rare qu’un salarié témoigne : par peur ou par volonté de protéger son travail. En revanche un RH, un manager, un assistant social qui aurait été au courant d’une situation et ne l’a pas dénoncée a une responsabilité si celle-ci lui a été remontée

Comment prévenir les risques ?

La prévention des risques passe par le dialogue. 

Le manager doit s’informer des conditions de travail de ses collaborateurs afin de s’assurer de leur qualité de vie au travail. En cas de situation inquiétante, il doit remonter l’information aux RH, à l’assistant du travail ou au médecin du travail. 

Pour cela, les RH ont pour mission de sensibiliser les managers aux bonnes pratiques. 

Ensuite, en cas de risques, l’évaluation ne peut se faire qu’au cas par cas.